Dans des temps anciens, les arbres peuplaient des étendues infinies et savaient marcher sur la terre. De temps à autre, ils se retrouvaient en grande assemblée et parlaient le vieux langage. Une nouvelle arrivée sur Terre, la dernière d’une grande lignée, avait motivé une assemblée exceptionnelle. Les premiers bébés humains naissaient, et les arbres se proposaient de devenir leurs parrains et marraines. Profitant d’un soleil au zénith, ils se réunirent dans une clairière, où de gros rochers en cercle conviaient à la tenue du dialogue.
Le cercle des géants était parcouru par des abeilles, des papillons et des pétales de fleurs soulevés par la brise. Amicaux comme ils l’étaient, les grands arbres étaient joyeux, ils riaient, rêvaient à ce qui ferait le meilleur de demain, heureux d’offrir aux nouveaux venus un don, une qualité, une compétence. Le plus âgé des arbres, et sûrement l’un des plus sages, connu de tous pour savoir les secrets du feu, de la vie et de la mort, du ciel et de la terre, ouvrit la séance. Ses racines s’enfonçaient dans le sol fauve, et cherchant dans sa voix une certaine solennité, il débuta : “Ces nouveaux êtres vont aller et venir sur les reliefs de la Terre, monter au ciel et redescendre toujours plus nombreux. Puisqu’ils sont nos petits frères et nos petites sœurs, j’aimerais que chacun de nous leur offre une ou plusieurs qualités. Avec elles, ils sauront marcher, ils sauront penser. Pour ma part, le moment est venu, je sacrifierai l’une de mes branches pour les initier aux arts du feu.”
“Ils auront besoin de la beauté, qu’elle les touche,” dit le fromager. “La mienne est à eux.”
“Force et connaissance,” tonna le baobab.
“J’offre la paix et la douceur,” fit timidement le bougainvillier.
Encouragés par les déclarations des uns et des autres, les arbres levaient leurs branches comme des mains d’écoliers, sous le regard généreux du grand soleil des savanes.
“Qu’ils soient hommes et aussi femmes,” chanta le candélabre, “c’est par la différence que l’humanité sera belle !”
“Qu’ils aient du plaisir à l’entraide,” lança l’acacia.
“Une bonne intelligence avec la terre,” ajouta le manguier. “Je leur montrerai l’art des noyaux et des graines.”
Les dons se multiplièrent ainsi, la journée durant : la droiture et le courage, cadeaux du néré, et l’élévation, celui du kapokier. Puis la délicatesse de l’avocatier, l’unité de l’acajou, l’amour du neem, la liberté du palmier, la justesse et la tolérance du kaïcedrat, la noblesse du tamarinier. Ensuite, le jujubier accorda la fluidité et la souplesse, le karité donna la sagesse des plantes, le goût du beau par les eaux florales et les huiles, la myrrhe et l’encens. Pour conclure, l’hévéa fit don aux êtres humains de l’art de rêver.
Les étoiles commençaient à scintiller dans le ciel, tandis que les arbres achevaient le tour de ce qu’ils souhaitaient offrir. Toutefois, avant que l’assemblée ne se disperse dans la paix du soir, un arbre introverti et peu entendu jusqu’alors prit la parole : “Je donne la persévérance et la confiance, deux piliers essentiels à une vie libre et belle. Amis des forêts et des savanes, nous voilà à tous jamais auprès des jeunes créatures. De nos fibres, de nos bois, nous leur offrirons tissus et charpentes. Nous leur donnerons aussi notre souffle. Le temps est venu d’aller nous planter sur cette terre, d’être leurs repères vivants, une canne pour le fébrile, une épaule pour le timide, un guide pour l’aveugle. Désormais, nous communiquerons entre nous par la voie des racines et par celle de la canopée. Nous serons plus silencieux, mais ceux dont l’âme brille sauront nous voir et nous entendre. Une nouvelle vie pour nous commence.”
“Et s’ils perdaient nos vertus ?” s’inquiéta le manguier.
“Nous en souffrirons,” répondit l’arbre timide.
“Nous souffrirons beaucoup,” admit le grand ancêtre des arbres. “Mais ce jour-là, quelqu’un saura lire dans nos écorces brûlées et nos feuilles asséchées l’origine du mal qui les ronge. Et peut-être nous guérira-t-il. Nous sommes liés, notre propre nature est en eux, notre futur est dans leurs cœurs et nos trocs sont noués de patience. Ce que nous leur donnons aujourd’hui trouvera un jour son expression.”
(Sawadogo & Deville, 2022. L’homme qui arrêta le désert, pp. 56-59)