Commune de Machilly

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DISCOURS 15 AOUT 2024 (80 ANS LIBERATION DE MACHILLY)

Mesdames et messieurs,

Bonjour et bienvenue à la 80e commémoration de la libération de notre village, célébrée cette année conjointement avec la commune de St-Cergues, dans un moment festif rappelant le lien qui unit ces deux communes. Première cérémonie ici à Machilly, devant l’Hostellerie Savoyarde, ce lieu si symbolique de la journée que nous commémorons aujourd’hui, ce lieu où de si rudes combats ont permis de faire basculer l’Histoire. Puis, au Bois Davaut, là où le courage d’un autre groupe a permis de consolider la victoire à Machilly et dans le Chablais. Enfin, nous nous retrouverons à la salle du Balcon pour le pot de l’amitié et un bal de la libération.

Nous serons accompagnés par l’Harmonie municipale de Machilly - Saint-Cergues, que nous remercions pour sa fidélité à toutes nos cérémonies. Je tenais également à remercier le Foyer Saint-François, aujourd’hui Foyer Arbre de Vie, de nous accueillir. Nous vous remercions toutes et tous d’être présents pour honorer la mémoire de ceux et celles qui ont combattu et donné leur vie pour la liberté. Nous démarrerons ce moment par :

Hommage aux morts

Il est des moments dans l’histoire d’un village, d’un peuple, d’une nation, que nous ne pouvons oublier. Il est des histoires que nous ne nous lassons pas de réentendre. Il est des personnes qui suscitent notre admiration à travers le temps. Il est des actes héroïques qui nous impressionnent, mais qui aussi nous interrogent : qu’aurais-je fait ? Aurais-je eu le courage ? Le moment que nous commémorons aujourd’hui en fait partie.

Pour les nouveaux arrivés dans notre région, pour nos jeunes, pour ceux et celles qui connaissent peu notre histoire, nous devons continuer à transmettre le sens de cette résistance, si farouchement ancrée dans notre territoire, par devoir de mémoire et en l’honneur de ceux et celles qui se sont battus et qui sont tombés pour nous permettre de vivre cet avenir dont nous jouissons. Et montrer que ce qui fait les atouts attractifs de notre région, ici et maintenant, ont également été des atouts incontournables lors des combats communs.

Cette petite histoire de Machilly dans la grande Histoire démontre plus que jamais la nécessité de ne pas se décourager face à des forces qui semblaient immuables, et de comprendre comment, en quelques jours, la volonté de quelques hommes et femmes, anonymes ou pas, a fait basculer le destin d’un département. En effet, si le département de la Haute-Savoie est le seul à s’être libéré par ses seules forces résistantes — Armée secrète, Francs-tireurs et Partisans côte à côte — entre le 15 et le 20 août 1944, c’est grâce à l’engagement de nombreuses personnalités et, surtout, de beaucoup d’anonymes.

Aujourd’hui, comme l’année dernière, nous nous retrouvons au Foyer L’Arbre de Vie, anciennement l’Hostellerie Savoyarde, sur les lieux où tout a commencé il y a 80 ans… Sur ces lieux où Machilly s’inscrit dans l’Histoire avec un grand H : ici, dans ce bâtiment aujourd’hui connu sous le nom de Foyer L’Arbre de Vie, qui existe depuis plus d’un siècle, autour de ce petit café transformé en hôtel en 1931, lieu de fête et de tourisme qui attirait 250 à 300 personnes chaque dimanche, en provenance du train, pour profiter de la gastronomie des lieux. Ce même bâtiment fut réquisitionné par les Allemands pour abriter une garnison très importante qui œuvrait sur tout le Chablais.

Nous vous avons déjà rappelé ce qui s’était passé ici, dans la nuit du 15 au 16 août 1944, alors que, depuis plusieurs mois, les Allemands tentaient de préserver à tout prix l’axe routier Annemasse-Thonon-Évian afin de ne pas isoler leurs garnisons de Thonon et d’Évian, alors que les forces résistantes les mettaient à mal, engendrant des répressions de plus en plus violentes dans les bois de Rosses, de Machilly et de Tholomaz. Alors que les Allemands pensaient pouvoir tenir Machilly, les forces de la résistance planifiaient sa libération pour empêcher la garnison allemande de porter secours à celle de Thonon.

Des combattants venus de tout le territoire se mobilisent dès 14h le 15 août, et les civils se réfugient dans les hauteurs de Machilly et de Saint-Cergues. Les forces se rejoignent et mènent l’attaque depuis Langin. Elles se font repérer à la pépinière Mezzetta, mais au petit matin, elles réussissent à attaquer le bâtiment, à l’aide de bazookas, permettant, après cinq heures de combat, de voir se hisser le drapeau blanc. Les Allemands capitulent grâce à une stratégie coordonnée sur l’ensemble du territoire, et notamment grâce à l’appui de Saint-Cergues, qui a bloqué des renforts allemands au Bois Davaud. Des combats qui font des morts des deux côtés, mais, aujourd’hui, nous savons que la libération de ces deux communes a été essentielle pour le combat de la résistance et la réussite de la libération de cette partie du Chablais.

Ces actions sont donc le fruit de l’engagement de toutes et de tous, car il en faut du courage pour être résistants. Il en faut du courage pour œuvrer jour après jour à combattre des injustices, à sauver des vies… Ce courage, qui se raconte lors de ces combats, existait déjà. Il s’est bâti durant les années d’occupation, à travers les engagements de personnes, de familles… Des engagements qui nous reviennent aujourd’hui sous forme de témoignages anonymes : « J’ai fait ce que j’avais à faire, le reste ne compte pas. » Ils se souviennent et racontent… Les souvenirs de leur famille, vivant au centre du village, dans la tourmente des événements de cette époque.

La mère de famille, très engagée, ainsi que son père et ses frères, dans l’aide apportée à la résistance, chacun ignorant, la plupart du temps, ce que l’autre faisait. Tout était fait dans la clandestinité, car c’était tellement dangereux pour les familles. Elle était « boîte aux lettres », recevait et transmettait de nombreux messages. Le secret était imposé à toute la famille, leur vie était en jeu. Difficile en tant que maman de faire ce choix, ses deux enfants ayant moins de cinq ans au début du conflit. Au fil des années, les messages, renseignements, accueils étaient de plus en plus nombreux et fréquents. Les résistants concernés pouvaient passer à n’importe quel moment, même parfois pendant le couvre-feu, pour récupérer les messages.

Dès 1942, l’aîné des enfants (un garçon de sept ans à l’époque) aidait souvent sa maman. Il accompagnait régulièrement des personnes qui devaient passer en Suisse. Ces gens étaient présentés comme des cousins éloignés, des amis de la famille ou des ouvriers agricoles… Une anecdote marquante concerne un couple arrivant à la gare de Machilly. Chacun descend du train séparément afin que si l’un d’eux se faisait prendre, l’autre puisse continuer sa route. La femme était déjà sortie de la gare lorsque l’homme est contrôlé par une patrouille. Il s’enfuit vers le village, poursuivi par les soldats. La femme, entendant des coups de feu, accélère le pas en direction du chef-lieu. La mère de famille, la voyant paniquée, lui fait signe de venir, la fait entrer dans la maison, lui ôte son manteau, lui passe une blouse, lui met un linge et une assiette dans les mains. En quelques secondes, la dame de la ville est transformée en paysanne du village. Pendant ce temps, la patrouille a rattrapé l’homme et passe devant la maison familiale pour retourner à la « kommandantur » (l’Hostellerie Savoyarde). En voyant passer les hommes armés et leur prisonnier, la mère de famille casse une assiette en s’écriant : « Tu ne peux pas faire attention ! » Les éclats de voix et de vaisselle attirent l’attention du détachement de soldats et du captif. Ce dernier, sans sourciller, voit que sa compagne est en sécurité et en est rassuré. Une fois la patrouille disparue, la femme reprend sa route.

Marqué par les événements, l’aîné raconte : « Le 16 août au matin, les coups de feu, les explosions… retentissent. Tout le monde est très inquiet, certains s’enfuient dans les Voirons. Une famille genevoise hisse le drapeau suisse puis passe dans les maisons du quartier pour récupérer les enfants et les emmener chez eux, espérant que si les choses tournent vraiment mal, la neutralité de la Confédération helvétique permettrait au moins de sauver les enfants. Mais ce qui impressionne le plus le jeune garçon, c’est la pile de douilles issues des tirs de mitrailleuses, qui était aussi haute que lui, voire plus. »

Durant ces années, la maison familiale a accueilli sous son toit des résistants, des pilotes de la RAF, des chefs de réseaux opérant sur l’ensemble du territoire français et qui avaient choisi Machilly pour sa proximité avec la Suisse. Certains sont même revenus les remercier, comme ce pilote de la RAF ou ce résistant. Ils se souviennent également qu’après avoir été dénoncés par une personne du village, ils ont échappé au peloton d’exécution grâce à un carabinier de la gendarmerie de chez Couty, avec qui ils sont restés amis jusqu’à leur mort.

Je remercie cette famille pour ces témoignages.

Comme vous le voyez, à travers ces récits, un élément transparaît : le courage n’est pas anodin. On agit par automatisme, selon ses valeurs, ses convictions, ses idéaux. Mais qu’aurions-nous fait à leur place ? Car dans tous ces souvenirs que les anciens nous racontent, nous entendons les actes, les faits et l’histoire. Nous retenons leur héroïsme, mais nous devons aussi entendre les blessures non visibles qui transparaissent dans tous ces récits : la terreur, le danger, la trahison de voisins, la perte d’êtres chers. Le fait de mettre sa vie en danger ne peut être décrit par des mots, la panique est bien réelle. Cette sensation de peur disparaît-elle jamais ou reste-t-elle dans les mémoires, continuant à faire frissonner ?

Et puis, dans les combats, ici comme ailleurs, quand malgré l’engagement et les convictions, on se rend compte qu’une bataille, un combat en face à face, pour sa vie, pour les siens, pour ses idéaux, dans l’enchaînement de l’enfer, c’est tuer, de manière non anonyme, en face à face. Tuer n’est jamais anodin, que ce soit pour quelqu’un d’entraîné ou pour un quidam, une personne qui ne se serait jamais posée la question auparavant… Sauver une vie est un acte qui permet de se réconcilier avec tous ses autres actes, mais prendre la vie de quelqu’un, même à un ennemi, est aussi un acte marquant qui change à jamais.

J’aimerais vous demander aujourd’hui de rendre hommage non seulement aux actes que nous jugeons héroïques, mais aussi à ces blessures et au courage de faire face à tous ces souvenirs, à toutes ces cicatrices visibles et invisibles.

Aujourd’hui, alors que nos anciens disparaissent, nous nous devons de ne pas oublier et d’aider à transmettre les anecdotes récoltées au coin du feu par nos parents, nos grands-parents et connaissances. Aidons à retracer les actions de ceux et celles qui, sans cela, seraient restés anonymes. Aidons à perpétuer ce devoir de mémoire collective, elle-même collectée et reprise par le travail de l’ANACR et des historiens locaux qui, sans relâche, sillonnent le territoire et, à travers leurs écrits et discours, font vivre ces événements. Ils nous permettent de ne pas oublier et de sublimer les leçons du passé, comme l’ouvrage écrit sur Machilly par Robert et Simone Amoudrouz. Sortons de l’anonymat, si ce ne sont les personnes, du moins le courage de ces hommes et femmes qui, même dans ce tout petit village rural et tranquille qu’est Machilly, nous démontrent qu’il n’existe pas d’action trop petite et que la solution aux défis auxquels nous devons faire face nécessite de la coordination à toutes les échelles du territoire, tout en comptant sur l’engagement et l’action de tous les individus, anonymes ou pas, hommes et femmes.

Merci.

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